Carte de fidélité connectée : une vraie fausse bonne idée ?

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Carte de fidélité connectée : une vraie fausse bonne idée ?

Carte de fidélité connectée : une vraie fausse bonne idée ? 1678 1119 Altavia

 

Innovation pérenne ou buzz éphémère ? Réel bénéfice client ou simple gadget technologique ? Chaque mois, Bruno Auret, expert en Digital Commerce, fondateur et CEO de l’agence Blackwood Digital, pose son regard critique sur une innovation digitale du secteur du Retail.

 

Ce mois-ci, c’est la carte de fidélité connectée, testée récemment par Kiabi dans son magasin de Beauvais auprès de 20 clientes, que le spécialiste du Digital Commerce a choisi de décortiquer pour vous.

 

Alors qu’il devrait exploser depuis déjà deux-trois ans, le Digital Instore ne décolle pas. Pourquoi ? « Parce-ce qu’il ne sert à rien », d’aucun vous répondrait. Une affirmation certes un peu radicale, mais finalement vraie : 80% des innovations digitales expérimentées dans les magasins ces dernières années ne servent à rien.

 

La carte de fidélité connectée testée par Kiabi en ce début d’année, pourtant très sympathique au premier abord, est, selon moi, emblématique de ce qui ce passe en ce moment dans le phygital.

 

Tout d’abord, revenons sur son principe et son fonctionnement :  lorsqu’un client entre dans le magasin, celui-ci est instantanément reconnu via sa carte de fidélité connectée (RFID, NFC…). Par ce biais, le consommateur se voit afficher des recommandations d’achat sur un écran géant dès son arrivée et bénéficie d’un accueil personnalisé à son passage en caisse, sans la forme d’un « Bonjour [insérez le prénom de votre choix] ! ». En d’autres termes, il s’agit là de personnaliser le parcours du client en magasin au moyen de données collectées au préalable sur Internet. Or, ce dispositif, aussi séduisant puisse-t-il paraitre, ne me semble pas être une bonne réponse  et ce, pour plusieurs raisons :

 

Le shopper n’est pas un internaute.

 

Lorsque vous faites du shopping, a fortiori en pleine période d’affluence, vous n’êtes ni plus ni moins qu’un(e) anonyme au milieu d’une foule d’inconnus. Dans ce contexte, imaginez que vous entrez dans un magasin anonymement (du moins c’est ce que vous pensez) et là, un écran géant affiche, à la vue de tous, votre prénom (voire, pourquoi pas, votre photo), ainsi que des recommandations basées sur vos derniers achats en ligne. Pareille situation ne vous rendrait-elle pas mal à l’aise ? On a là un vrai problème par rapport à l’intimité : à partir du moment où l’on me parle de moi, cela doit se faire dans la sphère privée et non devant tout le monde.

 

Loin de moi l’idée d’affirmer qu’il ne faut pas mettre le client en scène dans le magasin, nous avons d’ailleurs nous-même créé des dispositifs allant dans ce sens. Cap 3000 en est le dernier exemple. En revanche, il est primordial que le consommateur soit acteur et maître du contenu diffusé. Ici, cela se fait un peu malgré lui…

 

Quant au contenu de la recommandation, sera-t-il pertinent ? Si oui, cela veut dire qu’on aura, au préalable, tracké les intérêts et achats antérieurs du client, probablement sur Internet. En ce sens, un dispositif tel que celui-ci peut être perçu comme une forme de harcèlement : il nous est tous arrivé de chercher un produit sur internet, de l’acheter (ou pas), et de continuer de nous le voir proposé pendant plusieurs semaines.

 

Le magasin n’est pas un musée.

 

Si le club de fidélisation fonctionne bien, ce que l’on souhaite à Kiabi, on peut aisément imaginer que les détenteurs de la carte seront nombreux, voire très nombreux, à franchir la porte du magasin en même temps. Auquel cas, comment gère-t-on l’affichage ? Avec quelle priorité ? En imaginant ce cas de figure, on se rend compte que le concept a été pensé pour du one-to-one.

Un tel système pourrait très bien marcher dans des zones de flux maîtrisé, comme dans les musées par exemple. En revanche, dans un magasin, les flux partent dans tous les sens : on essaie de faire entrer les clients dans un parcours défini mais, au final, ils font ce qu’ils veulent. Et on sait tous ce qu’est l’hystérie d’un samedi après-midi dans un magasin  et les contraintes d’un vrai lieu de commerce.

 

Ce n’est pas parce que la technologie sait le faire, qu’il faut le faire.

 

Faire communiquer une carte avec un site et des écrans, pourquoi pas mais pour quoi faire ? Quel est le vrai bénéfice client ?! Et celui pour la marque (le vrai, celui qui fait vendre, pas le buzz) ? La technologie doit rester un moyen, ce n’est pas une finalité, ni même une clé d’entrée.

 

Et si la valeur ajoutée de la carte Kiabi résidait dans l’objet lui-même ?

 

Finalement, la vraie bonne idée de ce nouveau concept de carte de fidélité réside peut-être dans son support « old school » : Kiabi va à contre-pied de la tendance actuelle du « tout dématérialisé » en optant pour une carte physique. Et là, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas avoir à nouveau quelques cartes dans son portefeuille ? Un objet symbol pour certains, statutaire pour d’autres,  peut vraiment avoir du sens. Après tout, chaque mouvement crée son contraire : plus on va aller vers le dématériélisé, plus on aura envie  de se raccrocher à des supports  physiques. Moins. Mais mieux.

 

Par Bruno Auret